Jean-François Blanc/texte

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Jean-François Blanc  Texte de Patrick Mialon pour l'exposition de la Gallerie Balthazar

PORTRAIT DE L’ARTISTE EN VEILLEUR DE NOS NUITS

Jean- François BLANC a, pendant des années, peint la nuit pour mieux nous offrir le jour et nous ouvrir les yeux. Ce peintre discret et productif  notoirement méconnu de son vivant, pour reprendre une expression de Vialatte, œuvrait souvent loin des regards, caché aux yeux de tous quand les lumières du dortoir de l’Institution sur lequel il veillait étaient éteintes. Cette bipartition forcée entre le diurne et le nocturne a-t-elle eu une influence sur son travail ? Peut être. Sans doute. Car, rétrospectivement, on ne peut que constater que nombre de ses créations et tout spécialement les dernières, s’inscrivent entre abstraction et figuration, paysage naturel et paysage mental, en une alchimie poétique qui est la marque de cet artiste lettré amoureux des arts et de la musique.
Quant au travail en atelier dans le grenier de sa maison de Beaumont quand il n’était pas de garde, c’est peu de dire qu’il portait la marque d’une certaine réserve, d’un retrait d’un monde à son goût bien trop dédié au paraître, au tape- à- l’œil, à la vanité marchande qui s’affiche. Oh, bien sûr, n’allez pas croire pour autant qu’il était un pisse- froid ou un dédaigneux du plaisir, bien au contraire ! C’était un parfait hédoniste adepte du Carpe diem qui savait donner et encore mieux recevoir : les instants comme les amis et toutes les bonnes choses de la vie.

Dès ses années d’études dans les années 80 à l’Ecole des Beaux arts de Clermont où sa singularité, son désir de s’affranchir des diktats conceptuels esthétiques alors en vogue s’affiche, Jean-François décide de ne pas écarter la Nature, le ravissement, la chair des choses. Il peint des paysages : ceux du corps de la femme comme ceux des infinis visages du monde, il sera d’ailleurs dans son versant pictural, assez en phase avec la Nouvelle
Ecole du paysage des Michon, Bergougnoux, Millet, qui commence à marquer son territoire. Tout en étant très sensible aux signes décoratifs qui le désignent, il s’attache à créer un langage, un alphabet fait de volutes, d’arabesques, de remarques marginales que ne renieraient pas un Gustav Klimt ou un Pierre Alechinsky. De plus – ô scandale ! - il n’a jamais renoncé au Beau, mot que déjà à l’époque, il ne fallait pas prononcer. Son inspiration, il la prenait tout près de lui dans les paysages d’Auvergne : arbres, cascades, cours d’eau, montagnes, autant que dans ses ambiances qu’il traitait d’une manière bien personnelle sans jamais faire chromo ou couleur locale mais en essayant d’être au plus près de ce que les anciens nommaient le sentiment du paysage. Grand lecteur d’essais et de poésie, il savait rendre le halo mystérieux qui enveloppe les choses et en protège l’être même.


Et puis, au fil des années, la technique et les supports ont évolué, se sont multipliés : papier, cartons, contre plaqués, toiles de bâche, travail à base de cire d’encre, incisions, découpes … En amateur très éclairé des périodes esthétiques et de l’histoire de l’art, Jean-François s’est mis alors à questionner les grands héritages culturels : du dénuement Roman avec ses hautes toiles de fil de la série des Meurtrières aux Cyprès et Appogiatures dans le goût Renaissant sans oublier de revisiter les bords de route contemporains, les lieux en déshérence chers à Hopper ou à Raymond Carver. Mais c’est à peu près au milieu des années 2000 qu’un tournant décisif s’opère avec la quête de nouveaux territoires, d’une nouvelle géographie de la peinture, les titres d’expositions peuvent en témoigner : Terre(s) en vue, Paysages improbables, Entre ciel et eau…
La recherche s’affine alors en même temps que la palette s’assombrit et que l’indécision spatiale s’installe. C’est le statut du sujet peint qui est peu à peu mis en cause. Dès lors les cascades et leur eaux insaisissables semblent surgir de l’abîme et les fragments de paysages flotter dans un espace indéterminé. Avec l’exposition Autres terres à l’Espace Camille Claudel alors que Jean-François était au plus mal déjà, ce sont les repères entre le haut et le bas, le proche et le lointain, le vraisemblable et le reflet qui sont mis à mal à grands coups d’aplats et de coulures, ce qui ne peut que surprendre et troubler le regardeur qui n’y voit déjà que du noir avant que l’œil, peu à peu ne s’autorise à pénétrer dans le réseau subtil des nuances chromatiques de l’architecture secrète de ce travail exigeant. La dernière année est terrible, la douleur est intenable et Jean-François ne peut plus monter à son atelier…

Il a commencé la série des Têtes mortes dont le choix du titre est sans appel, pout désigner des fleurs coupées jaillissant de la nuit en une explosion de couleurs, Novae à bout d’énergie donnant tout ce qu’elles ont encore en un bouquet final. La proximité de l’abîme a forcé le passage à l’excellence par des chemins dérobés mais ces fleurs du mal vont accompagner jusqu’au dernier moment cet artiste obstiné contraint de réinventer un expressionisme qui a refusé jusqu’au bout de se départir du  charnel et de l’esthétique.

Selon son souhait, ses cendres sont dispersées au fil de l’eau de la cascade du Plat à barbe près du chalet de son beau-frère. Il est rentré dans le paysage. Il a rejoint sa peinture.

Patrick MIALON, 13 Septembre 2014

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