PORTRAIT
DE L’ARTISTE EN VEILLEUR DE NOS NUITS
Jean-
François BLANC a, pendant des années, peint la nuit pour mieux nous
offrir le jour et nous ouvrir les yeux. Ce peintre discret et productif
notoirement méconnu de son vivant, pour reprendre une expression
de Vialatte, œuvrait souvent loin des regards, caché aux yeux de
tous quand les lumières du dortoir de l’Institution sur lequel il
veillait étaient éteintes. Cette bipartition forcée entre le diurne
et le nocturne a-t-elle eu une influence sur son travail ? Peut
être. Sans doute. Car, rétrospectivement, on ne peut que constater
que nombre de ses créations et tout spécialement les dernières,
s’inscrivent entre abstraction et figuration, paysage naturel et
paysage mental, en une alchimie poétique qui est la marque de cet
artiste lettré amoureux des arts et de la musique.
Quant au travail en atelier dans le grenier de sa maison de Beaumont
quand il n’était pas de garde, c’est peu de dire qu’il portait la
marque d’une certaine réserve, d’un retrait d’un monde à son goût
bien trop dédié au paraître, au tape- à- l’œil, à la vanité marchande
qui s’affiche. Oh, bien sûr, n’allez pas croire pour autant qu’il
était un pisse- froid ou un dédaigneux du plaisir, bien au contraire !
C’était un parfait hédoniste adepte du Carpe diem qui savait donner
et encore mieux recevoir : les instants comme les amis et toutes
les bonnes choses de la vie.
Dès ses années d’études dans les années 80 à l’Ecole des Beaux arts
de Clermont où sa singularité, son désir de s’affranchir des diktats
conceptuels esthétiques alors en vogue s’affiche, Jean-François
décide de ne pas écarter la Nature, le ravissement, la chair des
choses. Il peint des paysages : ceux du corps de la femme comme
ceux des infinis visages du monde, il sera d’ailleurs dans son versant
pictural, assez en phase avec la Nouvelle
Ecole du paysage des Michon, Bergougnoux, Millet, qui commence à
marquer son territoire. Tout en étant très sensible aux signes décoratifs
qui le désignent, il s’attache à créer un langage, un alphabet fait
de volutes, d’arabesques, de remarques marginales que ne renieraient
pas un Gustav Klimt ou un Pierre Alechinsky. De plus – ô scandale !
- il n’a jamais renoncé au Beau, mot que déjà à l’époque, il ne
fallait pas prononcer. Son inspiration, il la prenait tout près
de lui dans les paysages d’Auvergne : arbres, cascades, cours d’eau,
montagnes, autant que dans ses ambiances qu’il traitait d’une manière
bien personnelle sans jamais faire chromo ou couleur locale mais
en essayant d’être au plus près de ce que les anciens nommaient
le sentiment du paysage. Grand lecteur d’essais et de poésie, il
savait rendre le halo mystérieux qui enveloppe les choses et en
protège l’être même.
Et puis, au fil des années, la technique et les supports ont évolué,
se sont multipliés : papier, cartons, contre plaqués, toiles de
bâche, travail à base de cire d’encre, incisions, découpes … En
amateur très éclairé des périodes esthétiques et de l’histoire de
l’art, Jean-François s’est mis alors à questionner les grands héritages
culturels : du dénuement Roman avec ses hautes toiles de fil de
la série des Meurtrières aux Cyprès et Appogiatures dans le goût
Renaissant sans oublier de revisiter les bords de route contemporains,
les lieux en déshérence chers à Hopper ou à Raymond Carver. Mais
c’est à peu près au milieu des années 2000 qu’un tournant décisif
s’opère avec la quête de nouveaux territoires, d’une nouvelle géographie
de la peinture, les titres d’expositions peuvent en témoigner :
Terre(s) en vue, Paysages improbables, Entre ciel et eau…
La recherche s’affine alors en même temps que la palette s’assombrit
et que l’indécision spatiale s’installe. C’est le statut du sujet
peint qui est peu à peu mis en cause. Dès lors les cascades et leur
eaux insaisissables semblent surgir de l’abîme et les fragments
de paysages flotter dans un espace indéterminé. Avec l’exposition
Autres terres à l’Espace Camille Claudel alors que Jean-François
était au plus mal déjà, ce sont les repères entre le haut et le
bas, le proche et le lointain, le vraisemblable et le reflet qui
sont mis à mal à grands coups d’aplats et de coulures, ce qui ne
peut que surprendre et troubler le regardeur qui n’y voit déjà que
du noir avant que l’œil, peu à peu ne s’autorise à pénétrer dans
le réseau subtil des nuances chromatiques de l’architecture secrète
de ce travail exigeant. La dernière année est terrible, la douleur
est intenable et Jean-François ne peut plus monter à son atelier…
Il a commencé la série des Têtes mortes dont le choix du titre est
sans appel, pout désigner des fleurs coupées jaillissant de la nuit
en une explosion de couleurs, Novae à bout d’énergie donnant tout
ce qu’elles ont encore en un bouquet final. La proximité de l’abîme
a forcé le passage à l’excellence par des chemins dérobés mais ces
fleurs du mal vont accompagner jusqu’au dernier moment cet artiste
obstiné contraint de réinventer un expressionisme qui a refusé jusqu’au
bout de se départir du charnel et de l’esthétique.
Selon son souhait, ses cendres sont dispersées au fil de l’eau de
la cascade du Plat à barbe près du chalet de son beau-frère. Il
est rentré dans le paysage. Il a rejoint sa peinture.
Patrick
MIALON, 13 Septembre 2014
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